Chronique

Merci, Charles, de ne pas être cynique

Pour vrai, j’ai du respect pour Charles Lafortune. De dimanche soir en dimanche soir, autant chez les juniors que chez les adultes, il conserve son sourire et son émerveillement devant l’empire des futures stars qui parade à La voix.

C’est admirable que le maître de cérémonie de TVA ne s’enfonce pas dans le cynisme ou la désillusion jusqu’aux oreilles. Il connaît parfaitement les rouages de cette machine bien huilée. Il le sait pertinemment que le choriste d’une comédie musicale obscure ne percera pas dans le showbiz.

Pourtant, Charles Lafortune encourage chacun des participants avec le même enthousiasme, le même élan, et ne laisse pas ses préjugés teinter son animation. Chapeau bas.

Je n’ai pas cette patience ni cette candeur. Après seulement quatre rondes d’auditions à l’aveugle en 2017, j’ai plus le goût d’avaler une pelote d’épingles que d’entendre une 74e reprise d’Édith Piaf ou de Zaz par une quart de finaliste du dernier festival de Granby. Imaginez six saisons maintenant. Au secours.

Je dois avoir le cœur sec comme un vieux croûton de pain. Quand Isabelle Boulay a enfoncé son bouton rouge pour recruter Alexandre Farina, 38 ans, qui a refait C’est extra de Léo Ferré, j’ai quasiment hurlé : voyons donc, c’est impossible que ce gars-là gagne, on allume, s’il vous plaît !

Autre source d’irritation ? Plusieurs concurrentes de La voix s’inspirent du timbre si particulier de Béatrice Martin de Cœur de pirate et cette hipstérisation devient lassante. 

Audrey Emery, 31 ans, a été la première à s’inscrire au concours d’imitation avec La Javanaise de Serge Gainsbourg. Quelqu’un dans l’assistance a-t-il compris les paroles ? Pierre Lapointe et Isabelle Boulay ont tenté de l’attirer dans leur équipe et c’est la rousse interprète qui a gagné la joute verbale.

Puis, au tour de Joanie Michaud, 29 ans, de Gatineau, de se « cœurdepiratiser » avec une jolie reprise d’Et cetera de Gabrielle Destroismaisons. Sa chute dans les marches, la première de l’histoire de La voix, l’a-t-elle déconcentrée ? Elle n’a pas été retenue, notamment pour des erreurs de justesse, comme l’a souligné Éric Lapointe avec franchise et sans méchanceté.

Comme quoi c’est possible de faire de la critique constructive à La voix. Ça fait changement des concerts d’éloges qui sonnent faux. On finit par ne plus croire les coachs dans leurs plaidoiries tellement c’est exagéré.

Cela dit, l’émission d’hier a révélé des artistes très solides. À commencer par Willis Pride, 28 ans, de Saint-Pascal-Baylon, en Ontario, qui a été exceptionnel au piano sur Feel Like Makin’ Love de Roberta Flack. Simple, humble et discret, Willis Pride, sosie de Damien Robitaille, a laissé s’exprimer son talent – sans raconter d’histoire larmoyante – et Pierre Lapointe a mis le grappin sur un artiste plein de potentiel. Bravo.

Le dernier chanteur de la soirée, Brandon Mignacca, 22 ans, de Laval, a épaté avec Thinking Out Loud d’Ed Sheeran. Vraiment, rien à redire sur cette prestation. C’est un match parfait avec Marc Dupré, qui craque pour cette forme de pop intelligente.

Un des choristes d’En direct de l’univers à Radio-Canada, Éric Lussier, 31 ans, de Longueuil, a aussi fait pivoter rapidement les quatre fauteuils. Même s’il a interprété Je sais ton nom d’Isabelle Boulay, son idole, il a opté pour le camp Dupré. Probablement que Marc le poussera plus qu’Isabelle à sortir de son registre habituel.

Hanorah, 22 ans, de Montréal, aurait pu crier un peu moins et elle aurait tout de même charmé les quatre capitaines. Beaucoup de puissance dans son All I Could Do Was Cry d’Etta James. Impressionnante, cette Hanorah.

Dans le registre soul, Sebastian Roel, 22 ans, est dur à battre. Serait-il le John Legend de Laval ? Il a revisité A Song for You de Leon Russell avec aisance et assurance. Belle prise pour Éric Lapointe.

Décidément, le rock a la cote cet hiver. Avec son pied de micro à la Steven Tyler et son Highway Star de Deep Purple, Anthony Monderie Larouche, 26 ans, de Rouyn-Noranda, a fouetté l’intérêt d’Éric Lapointe, qui a même versé dans la poésie, en fin de parcours, pour repêcher un candidat.

Le rockeur a déclamé : « J’te veux, comme un extrémiste veut Dieu, comme un pyromane veut du feu. » Serait-ce le refrain de son prochain succès radiophonique ? Le genre de hit qui incendierait les palmarès ? Bon, assez de gags inflammables pour aujourd’hui.

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